samedi 17 février 2007

L'Avare (et Ionesco au theâtre de la Huchette)

FROSINE: Elle ne peut souffrir du tout la vue d'un jeune homme; mais elle n'est point plus ravie, dit-elle, que lorsqu'elle peut voir un beau vieillard avec une barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle les plus charmants, et je vous avertis de n'aller pas vous faire plus jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagénaire; et surtout, elle est pour les nez qui portent des lunettes.(...)
HARPAGON : Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d'eux-mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les apercevoir; mais enfin c'est avec des lunettes qu'on observe les astres
Longuement désiré (combinaison magique de pièce étudiée en classe+grand comédien Michel Bouquet) et tardivement chroniqué en point d'en être réduit à des souveirs disparates et triviaux, c'est le triste sort réservé à l'Avare. Une négligence injuste de ma part car cette adaptation a brillé de tout feux et mérite la palme d'or de la meilleure pièce vue en 2007.
En effet, pour des raisons de flemmitude aïgue, on ne mentionnera ici ni Eva avec Niels Arestrup, très moyen, ni la mémorable 15000 ème représentation de la Cantatrice Chauve et de la Leçon de Ionesco au théâtre de la Huchette (très bien et au cadre eceptionnel, quoique 1 ).
En deux mots de cette pièce, il faut s'exclamer : Ave, Amen, Vive Michel Bouquet!
Il EST Harpagon. Bluffée j'ai été. Vouté, les mains tremblantes, la voix enrouée et prise, le souffle au bord de l'apoplexie dés que son esprit paranoïaque enregistre un intérêt trop vif à sa cassette, le petit regard en coin suspicieux, les rondes de guêt... Un délice qui se fait attendre comme le dessert. Sa seigneurie Harpagon n'apparaît qu'au bout de la seconde demi-heure mais qu'importe, on le connait déjâ par les portraits peu flatteurs qu'en dresse sa maisonnée.
Une demi-heure nécéssaire pour permettre aux autres comédiens de briller (seule deception, Mariane assez inssipide). Les amants éplorés Elise et Valère déboulant par les escaliers de cette scène circulaire impréssionnent. Le numéro d'intendant modèle et faillot de Valère pour entrer dans les bonnes grâces dde son futur beau-père en convaincrait plus d'un. Autre moment d'anthologie sa déclaration d'amour pour Elise confondue par Harpagon avec des aveux de vol de la sacro-sainte cassette, caréssé et bichonnée avec sensualité par le vieillard. Je n'avais pas le souvenir que ce qui-pro-quo était si long et à chaque nouvelle courbe, la surprise et la drôlerie étaient intact comme à la première lecture.
HARPAGON: Mais, dis-moi, qui t'a porté à cette action?
VALÈRE: Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire: l'Amour.
HARPAGON: L'amour?
VALÈRE: Oui.
HARPAGON: Bel amour, bel amour, ma foi! L'amour de mes louis d'or.
VALÈRE: C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez sans doute; mais ce ne sera pas le perdre que de me le laisser. Je vous le demande à genoux, ce trésor plein de charmes; et pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez. Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne nous point abandonner.
HARPAGON: Le serment est admirable, et la promesse plaisante!
VALÈRE: Oui, nous nous sommes engagés d'être l'un à l'autre à jamais.
HARPAGON: Je vous en empêcherai bien, je vous assure.
VALÈRE: Rien que la mort ne nous peut séparer.
HARPAGON: C'est être bien endiablé après mon argent.
VALÈRE: Je vous ai déjà dit, Monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon cœur n'a point agi par les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspiré cette résolution.
HARPAGON: Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien; mais j'y donnerai bon ordre; et la justice, pendard effronté, me va faire raison de tout.
VALÈRE: Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes les violences qu'il vous plaira; mais je vous prie de croire, au moins, que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que votre fille en tout ceci n'est aucunement coupable.
HARPAGON: Je le crois bien, vraiment; il serait fort étrange que ma fille eût trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me confesses en quel endroit tu me l'as enlevée.
VALÈRE: Moi? je ne l'ai point enlevée, et elle est encore chez vous.
HARPAGON: Ô ma chère cassette! Elle n'est point sortie de ma maison?
VALÈRE: Non, Monsieur.
HARPAGON: Hé! dis-moi donc un peu: tu n'y as point touché?
VALÈRE: Moi, y toucher? Ah! vous lui faites tort, aussi bien qu'à moi; et c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse que j'ai brûlé pour elle.
HARPAGON: Brûlé pour ma cassette!
VALÈRE: J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée offensante: elle est trop sage et trop honnête pour cela.
HARPAGON: Ma cassette trop honnête!
VALÈRE: Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue; et rien de criminel n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée.
HARPAGON: Les beaux yeux de ma cassette!
Admirable également mais aux antipodes de Valère, le fils de la maison, Cléante. Dandy et dépensier autant que son père est pingre. Judicieusement de cuir vétu, le parfait métrosexuel dirait-on aujourd'hui: cheveux longs et taille de mannequin avce nombre de franfreluches en bagues et chaînettes. Pas question pour lui de se montrer aussi conciliant lorsqu'il s'agit d'obtenir la main de sa dulcinée Mariane que convoîte Harpagon. Un fils sans scrupule à piéger son père et ourdire le vol de la cassette. Un vol rendu délicieux par la malice du valet de la Comedia Dell'Arte, La Flèche, et un décor où se cachent habilement double porte, double volées de marche, une fenêtre et son gravier pour espionner et dissimuler. Comment rester sobre mais utile dans l'utilisation de la scène.
Ce qui nous amène au Monologue (peut-être pas le plus célèbre de la littérature française mais presque) ! Michel Bouquet est attendu au tournant et il assume. Voix brisée, gémissements et convulsion à terre, on a envie d'appeller le SAMU tant on craint pour le myocarde du pater familias. Un "Oh Voleur" plus que physique et passionnel que je n'avais pas du tout envisager comme cela. Cette déclaration d'amour emporté et constat de vol est déchirante, et se rapproche très près des "Precious" compulsifs de Gollum dans le Seigneur des Anneaux, on en redemande !
Enfin cette entrée ne pourrait se conclure sans l'hommage dû aux deux meilleurs rôles après celui d'Hapagon: les chevaux! et leurs têtes henissantes... Ces deux bestioles bipèdes pour l'occasion ont achevé de me faire rire pendant tout le dernier acte et sont parvenus à faire oublier les fins toujours roccambolesques, rapidement expédiée et baclée des comédies de Molière. Et puis comme dans le théâtre du siècle de Louis XIV, le rideau tombe sur le retour Deus Ex Machina, de la cassette tombant du ciel pour se nicher dans l'étreinte anxieuse de l'Avare. Allelujah !, Allelujah!...

L'Avare de Molière, au théâtre de la Porte St-Martin à Paris. Mise en scène : Georges Werler. Avec Michel Bouquet, Sophie Botte, Juliette Carré, Benjamin Egner, Sylvain Machac, Jacques Echantillon, Marion Amiaud, Fabienne Vette, Bruno DeDebrandt et Jacques Bleu.
1 : Quelques lignes quand même sur Ionesco et la Huchette. Cinquante ans que la Cantatrice Chauve et la Leçon sont jouées sans interruption. Et le 16 février, journée anniversaire par excellence, se donnait la 15 762e avec toute la distribution d'origine restante. Si jamais vous passé par le 5ème, n'hésitez pas à y aller, le quartier est fascinant (ah le caveau de la Huchette *___* ) et vous ne verrez plus jamais une cours particulier de la même manière... !
Et maintenant, en route vers l'Asie ! ...en attendant les prochaines échéances théâtrales que seront Cyrano de Bergerac et Sur la Route de Madison... ah Delon et Darc tout une époque pour ma maman !

1 commentaire:

Darkvosinh a dit…

Rhaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa....
Michel Bouquet dans le rôle d'Harpagon... Ca c'est une claque théâtrale... Bizarrement, je l'ai prise il y a un franchement bon moment (17 ans quand même... ça remonte ^^) et je m'en souviens encore. Et c'est étrange, parceque d'après les photos que je vois, c'était le même décor, les mêmes costumes... Me souvenais pas du nom du metteur en scène par contre.

Mais si vous voulez voir un grand acteur dans un grand rôle, allez le voir, c'est énorme...