Adapter c'est comme traduire, une trahison et une compromission de l'oeuvre originale. Je suis toujours très curieuse de voir le résultat filmé d'un livre que j'ai aimé. A quel point ma vision des événements va-t-elle différer de celle du scénariste et du réalisateur ? Quels arrangements vont réinventer l'intrigue : passages coupés, scènes imaginées, contre-sens des personnages ? C'est généralement cette troisième liberté artistique qui est la plus dure à accepter quand on adore un roman, celle qui paraît la plus dénaturante. Exemple : Arwen aidant à la bataille de Helm's deep.
Cette année, j'attendais beaucoup de trois projets :
- Le Trône de fer : encore plus inadaptable que le Seigneur des Anneaux avec une trentaine de personnages et 1000 pages par tome (pas encore vu la production HBO)
- One day qui a l'air très soigné point de vue réalisation mais qui je crains choisit plutôt l'option fleur bleue que la veine sardonique des années 90.
-La solitude des nombres premiers car le livre est sombre : auto-mutilation, anorexie, autisme, solitude, non-communication.
Pour ne faciliter en rien le labeur du scénariste, le livre contient peu de dialogues et décrit surtout la conscience endeuillée des personnages principaux : Alice et Mattia. Tellement à la marge de la communauté qu'ils sont condamnés à avancer seul dans la vie, incapables de se lier à autrui, de se faire comprendre ou accepter. Même la rencontre de leurs âme en peine n'y fait rien. Ils se croisent et se perdent de vue même si d'instinct le lecteur aimerait les libeller des âmes sœurs (sauf que le livre a bien intégré que dans la vie les sentiments sont compliqués et peu rationnels et s'en tient humblement à la réalité).Dans l'autre, il trouve un miroir mais pour autant que leur amitié est forte, et les sauve, ils ne se dévoilent jamais, ne tombent pas les masques. Comment traduire cette tension à l'écran quand tout n'est que combats et frustration intérieurs ?
Raconté comme ça, certains pourront se demander à juste titre ce que j'ai pu trouver dans ce roman rude de Paolo Giordano. Si j'en ai eu connaissance ,c'est grâce à une critique élogieuse sur People.com. Le titre matheux et la couverture étrange avec une cosse de petits pois a fait le reste (même si la version français de la main et du papillon est assez jolie).
Le livre se découpe en quatre parties recouvrant 4 différentes années de la vie des héros et même si l'atmosphère est malsaine, c'est dur de ne pas être touchée justement par les imperfections des personnages et leurs relations dysfonctionnelles au monde. Des anti-héros qui s'assument, s'auto-détruisent et apprennent à vivre avec.
Pour relever le défi de cette plongée dans des esprits torturés, le rélisateur Saverio Costanzo a choisi de tourner son oeuvre en empruntant au code des films d'horreur (merci Télérama sans toi je n'aurais pas capté la référence). Miroirs éclatés, pénombres, tunnels, interminables couloirs, clowns de mauvais augure, appartement familial suranné, parents muets et sourds, hallucinations, musique assourdissante couvrant les dialogues... Une de ces scènes les plus surréalistes - même si l'effet est discutable - est le mariage de Viola où Mattia et Alice sont enveloppés dans un brouillard tandis que les invités dansent comme si de rien n'était.
Saverio Costanzo a aussi déstructuré le récit chronologique pour ne révéler qu'à la fin le pêché originel des héros. Surtout il a exigé de ses acteurs un gros travail sur le corps. Alba Rohrwacher a dû perdre entre deux séquences dix kilos, devenant squelettique (ça fait mal aux yeux), tandis que Luca Marinelli en a gagné quinze. Le boitement d'Alice est accentué par le bruit des chaussures qui raclent le parquet et par ses chutes rituelles Mattia est perpétuellement voûté, replié sur lui, le regard fuyant tourné vers le bas.
A cet égard la scène de leurs retrouvailles sonne tellement vrai (et j'aime Bette Davis' eyes), on les sent pleins d'attentes mais aussi angoissés à l'idée de refaire connaissance et embarrassés de ces années d'absence et de silence.
La finesse de cette adaptation, sur laquelle Saverio Costanzo et Paolo Giordano ont travaillé de concert, c'est d'avoir avec un simple mot jamais prononcé dans le livre, intervenant 3 minutes avant le générique de fin, complètement modifié l'épilogue (même si rétrospectivement ne pas avoir envoyé Mattia à New York était un signe). Je serai curieuse de savoir pourquoi Paolo Giordano a donné une fin alternative à son ouvrage. Etait-il frustré comme la plupart de ses lecteurs de la conclusion sans concession qu'il avait apporté à son roman ? Que pour les individus nombres premiers aucune rédemption n'est possible. Avec le recul, a-t-il voulu laisser la chance à ses personnages la possibilité d'apprendre de leurs erreurs ?
Le mérite de cette fin en liberté artistique c'est qu'elle laisse une porte ouverte sans délivrer de happy end. En prenant sur elle d'aller une énième fois pourchasser Mattia (des deux le moins capable de suivre ses émotions) , Alice ne perd pas sa trace. Pour autant les cinq secondes de cette dernière scène n'indiquent pas clairement si le génie des math va réagir et saisir la main tendue. Du coup, ça ne renie pas entièrement la philosophie du livre, ouff !
Un autre altération cosmétique qui m'intrigue, c'eest l'idée de donner à Viola le monologue sur les nombres premiers : deux nombres solitaires divisibles que par eux même et séparés entre eux deux par un nombre qui les empêche de se toucher. Il avait beaucoup plus de puissance dans l'esprit algébrique de Mattia.
On remarquera que le prix du personnage le plus sacrifié au nom du passage sur grand écran revient au Fabio si bien nommé, dommage cela aurait été intéressant de voir les efforts d'Alice pour s'intégrer.
Je serai curieuse de voir si des gens sont allés voir le film et ont eu ensuite l'envie d'ouvrir le livre. De même peut-on avoir envie de voir le film sans avoir lu le roman ? Une fois de plus je trouve que pour profiter au mieux de ces deux médiums, mieux avoir lu d'abord puis ensuite se rendre au cinéma pour apprécier cette adaptation méritante quoiqu'infidèle !
En bref : ****
Cette année, j'attendais beaucoup de trois projets :
- Le Trône de fer : encore plus inadaptable que le Seigneur des Anneaux avec une trentaine de personnages et 1000 pages par tome (pas encore vu la production HBO)
- One day qui a l'air très soigné point de vue réalisation mais qui je crains choisit plutôt l'option fleur bleue que la veine sardonique des années 90.
-La solitude des nombres premiers car le livre est sombre : auto-mutilation, anorexie, autisme, solitude, non-communication.
Pour ne faciliter en rien le labeur du scénariste, le livre contient peu de dialogues et décrit surtout la conscience endeuillée des personnages principaux : Alice et Mattia. Tellement à la marge de la communauté qu'ils sont condamnés à avancer seul dans la vie, incapables de se lier à autrui, de se faire comprendre ou accepter. Même la rencontre de leurs âme en peine n'y fait rien. Ils se croisent et se perdent de vue même si d'instinct le lecteur aimerait les libeller des âmes sœurs (sauf que le livre a bien intégré que dans la vie les sentiments sont compliqués et peu rationnels et s'en tient humblement à la réalité).Dans l'autre, il trouve un miroir mais pour autant que leur amitié est forte, et les sauve, ils ne se dévoilent jamais, ne tombent pas les masques. Comment traduire cette tension à l'écran quand tout n'est que combats et frustration intérieurs ?
Raconté comme ça, certains pourront se demander à juste titre ce que j'ai pu trouver dans ce roman rude de Paolo Giordano. Si j'en ai eu connaissance ,c'est grâce à une critique élogieuse sur People.com. Le titre matheux et la couverture étrange avec une cosse de petits pois a fait le reste (même si la version français de la main et du papillon est assez jolie).
Le livre se découpe en quatre parties recouvrant 4 différentes années de la vie des héros et même si l'atmosphère est malsaine, c'est dur de ne pas être touchée justement par les imperfections des personnages et leurs relations dysfonctionnelles au monde. Des anti-héros qui s'assument, s'auto-détruisent et apprennent à vivre avec.
Pour relever le défi de cette plongée dans des esprits torturés, le rélisateur Saverio Costanzo a choisi de tourner son oeuvre en empruntant au code des films d'horreur (merci Télérama sans toi je n'aurais pas capté la référence). Miroirs éclatés, pénombres, tunnels, interminables couloirs, clowns de mauvais augure, appartement familial suranné, parents muets et sourds, hallucinations, musique assourdissante couvrant les dialogues... Une de ces scènes les plus surréalistes - même si l'effet est discutable - est le mariage de Viola où Mattia et Alice sont enveloppés dans un brouillard tandis que les invités dansent comme si de rien n'était.
Saverio Costanzo a aussi déstructuré le récit chronologique pour ne révéler qu'à la fin le pêché originel des héros. Surtout il a exigé de ses acteurs un gros travail sur le corps. Alba Rohrwacher a dû perdre entre deux séquences dix kilos, devenant squelettique (ça fait mal aux yeux), tandis que Luca Marinelli en a gagné quinze. Le boitement d'Alice est accentué par le bruit des chaussures qui raclent le parquet et par ses chutes rituelles Mattia est perpétuellement voûté, replié sur lui, le regard fuyant tourné vers le bas.
A cet égard la scène de leurs retrouvailles sonne tellement vrai (et j'aime Bette Davis' eyes), on les sent pleins d'attentes mais aussi angoissés à l'idée de refaire connaissance et embarrassés de ces années d'absence et de silence.
La finesse de cette adaptation, sur laquelle Saverio Costanzo et Paolo Giordano ont travaillé de concert, c'est d'avoir avec un simple mot jamais prononcé dans le livre, intervenant 3 minutes avant le générique de fin, complètement modifié l'épilogue (même si rétrospectivement ne pas avoir envoyé Mattia à New York était un signe). Je serai curieuse de savoir pourquoi Paolo Giordano a donné une fin alternative à son ouvrage. Etait-il frustré comme la plupart de ses lecteurs de la conclusion sans concession qu'il avait apporté à son roman ? Que pour les individus nombres premiers aucune rédemption n'est possible. Avec le recul, a-t-il voulu laisser la chance à ses personnages la possibilité d'apprendre de leurs erreurs ?
Le mérite de cette fin en liberté artistique c'est qu'elle laisse une porte ouverte sans délivrer de happy end. En prenant sur elle d'aller une énième fois pourchasser Mattia (des deux le moins capable de suivre ses émotions) , Alice ne perd pas sa trace. Pour autant les cinq secondes de cette dernière scène n'indiquent pas clairement si le génie des math va réagir et saisir la main tendue. Du coup, ça ne renie pas entièrement la philosophie du livre, ouff !
Un autre altération cosmétique qui m'intrigue, c'eest l'idée de donner à Viola le monologue sur les nombres premiers : deux nombres solitaires divisibles que par eux même et séparés entre eux deux par un nombre qui les empêche de se toucher. Il avait beaucoup plus de puissance dans l'esprit algébrique de Mattia.
On remarquera que le prix du personnage le plus sacrifié au nom du passage sur grand écran revient au Fabio si bien nommé, dommage cela aurait été intéressant de voir les efforts d'Alice pour s'intégrer.
Je serai curieuse de voir si des gens sont allés voir le film et ont eu ensuite l'envie d'ouvrir le livre. De même peut-on avoir envie de voir le film sans avoir lu le roman ? Une fois de plus je trouve que pour profiter au mieux de ces deux médiums, mieux avoir lu d'abord puis ensuite se rendre au cinéma pour apprécier cette adaptation méritante quoiqu'infidèle !
En bref : ****
2 commentaires:
Voilà une histoire qui me titille. Pour le ciné c'est bien trop tard mais je guetterai la sortie du DVD avec attention ;-)
Une fois de plus : merci pour ta belle découverte.
L'histoire sur les pages et sur l'écran est âpre mais elle m'a bouleversée.
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