Quand la brochure du spectacle vous annonce "les Etats-Unis correspondent pour l'Européen à une force sous-jacente de l'exil, à un phantasme d'émigration et d'exil et donc à une forme d'intériorisation de sa propre culture. En même temps l'Amérique correspond à une extraversion violente et donc au degré zéro de la culture", votre instinct vous murmure fermement "Fuis pauvre fou" (c) Gandalf.
Ma voix intérieure avait bien raison de me mettre en garde lorsque je me suis assise au second balcon du théâtre de l'Odéon anticipant fiévreusement l'apparition d'Isabelle Huppert, étoile d'"Un tramway". Une adaptation trèèèèèèèèèèès libre de la pièce de Tennessee Williams. En fait ce tramway conduit par Krzysztof Warlikowski se nomme expérimental et conceptuel... Tremblez!
Depuis qu'elle ne choisit que des rôles de folle et d'hystérique je me méfie d'Isabelle H. mais j'avais gardé un souvenir tellement émue de sa Médée que j'espérais qu'elle se réserve de tels rôle spécifiquement pour le 7e art. Cruelle déception soulignée d'entrée de pièce. Isabelle dans un caisson en verre symbolisant une salle de bain, tournant en rond en sous vêtements sur une chaise à roulettes, se demandant où sont les Champs Elysée d'une voie traînante et manchonnantes tout en se triturant et en gémissant.
Le ton est donné. Certes cette héroïne s'appelle toujours Blanche Dubois, qui se réfugie chez sa soeur à la Nouvelle-Orléans, et elle fascin toujours autant le ténébreux et cruel Stanley mais fini les années 50, vive 2010 et sa webcam... Entre les lignes de Tennessee Williams se glissent un extrait de Sophocle, un sketch de Coluche, un passage de Wilde ou du banquet de Platon sans oublier une interminable mélopée de Jaume Sissa. On voudra applaudir à tant de fantaisie et d'audace mais elle noie la trame originale qui en devient secondaire. Un tramway devient alors une accumulation de scénettes plus ou moins réussies, plus ou moins compréhensibles. On perd le fil de l'intrigue (le secret de Blanche) et le sens. Pour la scène somptueuse du bowling et l'intéressant hommage à Platon ou le moment touchant où Isabelle Huppert nous demande de répondre à une devinette, que d'ennui (et ce pendant 3 heures)!
Sans oublier qu'Isabelle H. ne sort pas beaucoup du registre de l'hystérie. Une interprétation surjouée de Blanche qui est dérangée mais pas à ce point ! Et à la longue malgré les jolis costumes et décors, ça fatigue... Dommage car j'appréciais ce pari du metteur en scène qui truffe sa scène de caméra pour projeter le visage de ses acteurs sur un grand écran au fond de la salle avant de nous faire voir leur jeu et leurs expressions sous un nouveau jour.
Ce patchwork est brillant d'audace, un écrin pour Huppert, un ovni pour les yeux mais profondément indigeste. L'expérience échoue.
Je ne regrette pas d'être restée jusqu'à la fin mais je comprends aussi la dizaine de spectateurs qui sont partis discrètement et les applaudissements timides aux rappels. Une star ne fait, ne justifie pas tout.
Pour une délicieuse et intense pièce sur la folie, lui préférer le parfait et feu "Parole et Guérison" avec Barbara Schulz et Samuel le Bihan sur un texte du scénariste des Liaisons Dangereuses. Le triangle psychanalytique entre Freud, Jung et Sabina Spielrein, patiente et maîtresse du dernier avant de devenir une brillante psychanalyste. Schulz joue l'hystérie avec grâce et passion et le fameux divan est astucieusement mis en scène.
Pour un solide Tennessee Williams, se référer au réussi "Baby Doll" avec Mélanie Thierry, monté l'année dernière.