mardi 19 septembre 2006

Bond, son nom est Edward Bond... : Chaise

Pour ma seconde virée au théâtre au coté de mon père, on ne pouvait imaginer deux mondes plus différents que celui de Woody Allen et d'Edward Bond.

J'avais été prévenue, l'univers du londonien, considéré avec Harold Pinter comme un des plus grands dramaturges du XXème siècle est sombre. Délicat euphémisme! Chaise, qu'Edward Bond a composé en 2000 et a été montée à Avignon cet été avant d'être reprise au théâtre national de la Colline est l'enfant étrange du 1984 d'Orwell et de l'absurde de Kafka, symbolisé brillament par la scène clé et époustoufflante de l'interrogatoire (extrait vidéo) de l'héroïne par une assistante sociale. Si vous aviez aimé Big Brother et bien soyez comblé 2077 vous propose beaucoup mieux, ah vous en aurez pour votre argent!
L'être humain devient un numéro de dossier, la mansuétude un acte déviant qui vous vaut une vie sous surveillance... Dans Chaise, on ne sait plus embrasser sans mordre, parler sans trembler de peur. Aucune émotion chez la fonctionnaire, qui arrête son enregistrement au mot opportun ou joue sur la moindre hésitation d'Alice.
Difficile de ne pas voir dans le Bureau des Enquêtes Sociales, qui a droit de vie ou de mort sur les citoyens de ce pays, un ersatz du système concentrationnaire nazi dominé par un Big Brother, qui distribue les logements au prorata de la taille de la famille, au nom de l'éfficacité et de la rationalisation de l'espace, qui interdit le dialogue entre militaires/civils/condamnés, qui arrête au moindre mot et comportement déviant. A la prisonnière torturée et rasée comme aux contestataires ne s'offre que la mort à Cité Prison mais par "humanité" laisse aux detenus le choix de la pillule ou de l'exécution.
Et c'est ans un appartement spartiate ornée d'une simple table et trois chaises -seule fantaisie, une mosaïque de dessins d'enfant (?) aux murs- qu'Alice regarde par la fenêtre. Elle observe un soldat qui, depuis des heures, attend un bus avec une femme en piteux état qu'il doit emmener dans un lieu de détention. Mue par une irrésistible pulsion, elle descend une chaise. Geste dément. Car quiconque regarde un condamné signe son arrêt de mort dans notre/une société, qui en 2077 est gouvernée par un régime totalitaire.

Une décision que ne comprend pas Billy, son fils de 26 ans mais toujours enfant dans sa tête, scnariste de voyage au delà du monde . Lui n'a même pas le droit de regarder à travers ou de s'adosser à la fenêtre. Il n'est jamais déscendu dans la rue. Billy a grandi sauvage en observant le monde à travers les rideaux, sans jamais se montrer. Dans cette prison qui ne dit son nom, la vie n’est pas toujours facile. Alice dit tout ce qu’il faut faire et ne pas faire, Billy invente des histoires et dessine le monde avec des crayons. Mais la décision d'Alice fait tout basculer. Billy doit quitter la maison et partir dans le monde, un voyage d'apprentissage dans le tumulte et la cruauté des hommes, un univers où l'aggression est permanente.
Sous nos yeux se noue la trégédie. Aucun sacrifice ne pourra racheter ni la faute passé de l'héroïne, dévoilée tout en retenue par Valérie Dréville, ni son délit présent. L'engrenage commence, et la machine est parfaitement huilée. On resort de la salle ébranlé, l'estomac noué. Des sensations identiques à celles que j'avais éprouvé en regardant le Pianiste de Polanski, et quand on sait que Bond a notamment écrit sur la Shoah, on ne peut s'empécher d'y voir une référence.
Et alors que j'écris ces mots très fades, j'enrage de ne pas pouvoir rendre justice à la plus forte pièce que j'ai vue jusqu'à présent. Heureusement DJ le fait beaucoup mieux que moi :p
Chaise. Théâtre national de la Colline du 14 septembre au 18 octobre 2006. Réalisateur/Metteur en Scène : Alain Françon avec Valérie Dréville, Pierre-Félix Gravière, Abbès Zahmani...

1 commentaire:

Andrea a dit…

Lorsque tu seras de retour en France, tu pourras toujours si la curiosité te tient toujours essayer de te procurer le texte de la pièce:)