dimanche 20 mars 2011

We might as well

Cela fait un an que nous remontions de la gare de Lyon sur le pont de Bercy, tout amusés de cette traversée et aventure nocturne qui nous ressemblait si peu… Satisfaisante conclusion à cette journée qui nous avait permis de découvrir le génie d’Elia Kazan dans la Fièvre dans le Sang et qui s’était poursuivie par une halte improvisée au Balzar, un petit caprice comme il est parfois plaisant de s’en accorder. Impossible de deviner alors que nos chemins étaient sur le point de se disloquer et que notre amitié vivait ses derniers moments. Des signes avant coureurs étaient là mais jusqu’au bout je ne t’ai jamais cru capable de la moindre hésitation. Si j’avais su, j’aurais agi avec plus de sang froid et j’aurais essayé de te parler pour discuter avec toi de ce qui te tiraillait. Peut-être ne t’aurais-je alors pas servi à un défouloir, who knows ?

Prophétiquement tu m’expliqueras peu de temps avant que tu n’avais jamais eu d’ami aussi ancien que moi. Savoureuse ironie de l’histoire quand 3 heures plus tard implosaient huit ans et demi d’amitié. Il y avait de meilleures solutions, je le sais, que de prendre le large mais sans directives, aide, explications de ta part, je ne voyais pas d’autre moyen de fermer cette boite de pandore que je venais d’enterrer après de longs mois d’efforts. Quand toi tu semblais tout traverser avec la plus parfaite facilité et normalité. Un an après, je ne trouve pas le sens de ce dérapage. J’ai fini par me résoudre à réaliser qu’il n’y en avait pas. Je fus là au mauvais endroit au mauvais moment. Trop proche c’est tout.

En cette semaine anniversaire de la fin, je repense au début. Ces deux lettres d’écart dans l’alphabet. A quoi une amitié tient-elle ? Juste une feuille d’appel et le désir de faire ses preuves. Ces deux ans de débats parfois orageux pour dégager problématique ne suggéraient pas vraiment que de camarade tu deviennes « ma personne ». Et puis ce lien a traversé l’année Erasmus et les grands oraux et les concours. Des années à parler de tout et de rien, à refaire l’actualité, à s’échanger nos centres d’intérêts et hobbies (et si le démon de la photo est venu, ce fut par toi, si mes victimes doivent blâmer quelqu’un), à se soutenir dans les amertumes. Avec patience tu écoutais tout, les récits les plus triviaux, les doutes, les analyses. Tu devinais la fatigue, la curiosité. Compréhension mais jamais pitié. Tu as aussi accepté les contraintes qui m'accompagnent même quand tu étais mécontent et que tu le faisais savoir. Tu appréciais les mots et l’écrit. Avec toi, j’ai réalisé que ce que je pouvais être amusante et au deçà de l’ordinaire. A ton contact, je crois avoir grandi et découvert davantage qui j’étais.

D’où la difficulté à tolérer ce vide que j’ai pourtant souhaité. J’avais accepté depuis longtemps que nos vies seraient parallèles mais tant que nous pouvions compter l’un sur l’autre, c’était bien assez pour moi. Avec des ami-e-s de confiance, on peut tout affronter. Mais que faire quand la confiance s’en va ? Comment la rétablir après toutes les vérités cinglantes prononcées de ma bouche et de la tienne? En un instant, je n’ai plus su quelle était ma place. Comment discuter , réconforter et écouter une personne qui vous fait de la peine ? Pourquoi est-ce si important d’être là quand tu dénonces mon omniprésence ? Comment badiner quand on a le cœur lourd ? Puis-je te demander ton aide quand j’ai l’impression d’avoir été manipulée, jouée pour rien ? Pourquoi revenir alors que je t’ai blessé aussi ? Est-il encore possible de revenir sans commettre les erreurs d’autrefois ? Est-ce vraiment utile de réapparaître quand la vie poursuit inlassablement son cours ?

Mon premier souvenir chronologique, reconstruit à postériori, c’est de te revoir accepter ton destin non enviable de premier exposé de l’année et tenir tête aux maîtres de conférences sur la notation. Mais mon premier souvenir conscient c’est la première fois que nous nous sommes parlé pour discuter de notre premier travail en commun, on se demandait comment arriver à trouver un René Raymond en rupture de stock. Dans ce moment sur les marches, rien ne laissait présager les bonnes bouteilles entre 22h30 et minuit, les promenades parisiennes, les repas, les expos et les pièces, les canards enchaînés, la parenthèse du Croisic ou de Lyon. Au-delà de tous ces souvenirs précieusement rangés, je te revois si déterminé, engagé, imaginatif lorsque l’appareil était à proximité. Si ce jeune homme n’est plus à mes côtés, j’espère qu’il est toujours auprès de toi, à te guider et à te pousser, et qu’il aura une pensée pour moi en cette semaine de « commémoration ».

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