J'profite de la cérémonie des Molières, qui a lieu ce soir, pour rattrapper quelques entrées théâtrales, d'autant plus qu'ici il me faut parler du favori : Cyrano de Bergerac, analysé par Denis Podalydès sur les planches de la Comédie Française, excusez du peu !
Pourtant ma réaction originelle fut de traîner les pieds, la faute à de gros à priori (merci à mon conseiller théâtral de m'avoir mis le pied à l'étrier avec tant de conviction!). Etrangement, je ne suis pas une grande fanatique de l'oeuvre d'Edmond Rostand, très bien écrite mais qui ne m'a pas piqué au coeur même si comme beaucoup de collégiens, j'ai appris avec application amusée la tirade du nez. En outre, le film, qui a définitivement transporté au nirvana le nez de Depardieu, m'avait plutôt effrayé (au même titre que
Tous les Matins du Monde et le
Hussard sur le Toit); j'avais du mal à croire qu'un acteur pourrait faire oublier sa performance.
Des préjugés balayés lorsque le Gascond est entré sur scène sous les traits de Michel Vuillermoz. Non seulement, il a un tarin, qui aurait pu rendre envieuse Cléopâtre, elle-même, mais surtout il déploie un enthousiasme sidérant : prêt à un duel pour un vers mal déclamé, meneur d'hommes indiscutable comme discoureur éloquent, émouvant dans sa passion inébranlable pour Roxanne, il danse sur scène, virevolte et donne vie à des pans de la littérature française avec un naturel déconcertant (dans l'Avare, Bouquet plaidait la folie de Harpagon).
Au départ, le spectateur est désarçonné par tant de vivacité surtout que la mise en scène inaugure le 1er acte de manière brouillon et fantaisiste, assez pour que je me sois crue un instant au cinéma et dans la mauvaise salle !
Alors que la représentation de La Clorise, pièce de théâtre qui ouvre Cyrano de Bergerac, est souvent passée par perte et trépas, Podalydès la magnifie par une double mise en abîme, qui célèbre le théâtre comme la Comédie française. Sur un écran, on apperçoit les sociétaires les plus distingués passés et présents comme Jean-Claude Druot et Geneviève Casil. La caméra se détourne de temps en temps pour suivre les récation d'un public imaginaire ou le malheureux acteur principal dénué de tout talent tandis que la scène est encombrée d'échaffaudage, d'une loge, de rideaux rouges et d'une scène sur laquelle Cyrano surgit, bondissant, interrompant la malotru et faisant la preuve de son éloquence.
Mise à part cette fantaisie, un peu étrange et anachronique, Podalydès est dans une forme éblouissante et s'appuie avec élégance sur la débauche de moyens du Français, qui n'a pas lésiné pour cette première reprise de la pièce en 30 ans. La cuisine de Ragueneau semble sortie des Temps Modernes de Chaplin, en trappe et rails où l'on se bat à coup de poulet plumé. Les étagères où reposent les casseroles rutilantes descendent du ciel. le fameux balcon de Roxane devient pretexte à une nuit onirique où la belle virevolte dans le ciel en écoutant le pâle Christian. Le moment d'éblouissement est laissé au 4ème acte, lorsque les hommes de Cyrano, dont le malheureux Christian devenu mari, éphémère, de Roxanne, sont au front. Toutes les époques se bousculent alors: dans le texte la guerre de trente ans, dans les costumes et les blés teintés de coquelicots, la première guerre mondiale (ah l'intéréssante combinaison d'aviatrice de Roxanne!) et sur scène, ces naufragés de la violence se serrent les coudent sur une tranché, copie du radeau de la méduse...même pourvu d'un petit casier à homard !
Et devant tant de souffle, j'en étais déçue de voir arriver aussi vite le dernier acte d'une pièce, qui m'a fait redécouvrir le roman, surtout le personnage de Roxanne. Dans mon esprit, elle demeurait assez naïve et infantile mais à la Comédie Française, je l'ai découverte précieuse quasiment ridicule (cela saute aux yeux dans la scène du salon), aimant plus la grande passion que les hommes qui la lui portent. Christian ne lui plaît que parce que sous la plume et le verbe de Cyrano, il est un beau parleur flamboyant. Et lorsque celui-ci se lasse de cet éblouissement rhétorique pour tomber vraiment amoureu de la belle et de ses qualités et non plus de leur amour courtois de pacotille et surjoué, elle le repousse... Balancant dans les airs, on découvre ainsi une petite fée clochette capricieuse, un brin superficielle, enfoncant en totale ignorance des dagues dans le coeur du bien brave Cyrano auquel je ne souhaite ce soir que de ramener plein de petits Molières, bien mérités!
Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand
Mise en scène : Denis Podalydès, avec Michel Vuillermoz, Eric Ruf, Françoise Gillard ...
(cette entrée sera ensuite antidatée au 1er avril date de la sortie en question!)