samedi 20 octobre 2012

A Downton abbey eulogy

J'aurais préféré réaborder  Downton Abbey pour faire un bilan de la saison 3 mais le rebondissement de dimanche dernier a coupé court à ce plan si bien huilé.

Après mon grand exploit de l'été 2006-2007 pour pester contre l'éviction de la malheureuse Shannon de Lost, je m'étais promis de ne plus jamais renouveler l'exercice. Parce qu'il était mangeur de temps et qu'à près de 30 ans je devrais arrêter d'investir mes émotions aussi intensément dans des personnages de fiction. Cette résolution j'étais bien partie pour la respecter jusqu'à dimanche soir et ce fatidique épisode 3x05 de Downton Abbey. 

On nous avait prévenu, cette troisième saison serait marquée par une disparition qui ébranlerait tout l'univers des Crawley et de leurs serviteurs. Ce cinquième épisode n'avait pas été envoyé à la presse pour ne pas éventer le choc de son épilogue. Mais jusqu'au bout j'ai voulu croire que ce personnage serait à l'abris même si au fur et à mesure de la semaine je ne pouvais m'empêcher de penser que son décès était après tout le plus logique.

Pour la première fois depuis longtemps, je me suis assise avec appréhension devant ma télévision... et j'ai vécu 50 minutes effroyables, inédites depuis mes 15 ans où je m'effondrais en regardant Urgences (Benton, que fais tu Benton, Carter et Lucy sont en train de se vider de leur sang dans la salle d'examen ????) et les fins de saison de X-Files. 

Je suis une grande fille, que quelqu'un qui n'existe pas passe à trépas devrait me laisser cohérente, surtout dans une série à large distribution où j'ai plusieurs chouchous, mais là une fois le générique de Downton terminé, j'avais la gorge nouée, l'esprit retourné, le coeur enserré, l'insomnie rampante et une profonde mélancolie m'a accompagnée pendant 48 heures.

C'est disproportionné sans nul doute mais quand des dizaines d'internautes anglais parlent de porter le noir à leur travail le lendemain, que plusieurs parents ou époux ont dû offrir un coup de téléphone, un chocolat chaud, une oreille compatissante à leur progéniture, leur femme, que ma soeur me téléphone pour dire que cela lui a chamboulé la nuit, que ma mère ait tressauté en lisant par erreur le résumé de l'épisode et que ses confidences ont quasiment fait pleurer dans son assiette une collègue grande admiratrice de la série... alors on se dit que l'on vient d'assister au plus beau assassinat de personnage de ces dernières années, un coup de génie télévisuel barbare mais mené, dissimulé et interprété avec maestria...

Les soeurs Crawleys 
Peut-être que je ne suis pas totalement folle de vouloir écrire ce qui va suivre...

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NE PAS ALLER PLUS BAS POUR CEUX QUI NE VEULENT PAS SE FAIRE RÉVÉLER L'INTRIGUE DE LA SAISON 3 DE DE DOWNTON ABBEY OU QUI COMPTENT SE METTRE A CETTE MERVEILLEUSE SÉRIE D'ICI LA FIN DE L’ANNÉE..

LES AUTRES BEAR WITH ME

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                                                                      Farewell Sybil Crawley 

Tu n'existes pas, je ne te connais pas mais ta disparition m'a scandalisée et émue et ressemble encore trop à une décision dictatoriale permettant  à Julian Fellowes de muscler ses chiffres d'audimat et de prouver que la révolution est maudite,et à la charmante Jessica Brown-Finlay de poursuivre une carrière américaine.

Pour comprendre le séisme de toute une communauté de téléspectateurs,  Mrs Hughes résume parfaitement le désarroi général "the sweetest spirit under this roof has died".

Sybil Crawley était le personnage le plus consensuel de la série, le héraut du changement social redouté et annoncé à Downton et malheureusement terriblement négligée dans cette troisième saison, voir écrite à rebours de ce que la saison 1 et 2 avaient laissé entrevoir.

L'étrange et brève alliance de Thomas et Sybil pour sauver le lieutenant Courtenay


A) une décision scénaristiquement stupide

Sybil avait un énorme potentiel scénaristique. C'était la première à avoir bousculé les conventions sociales en épousant un domestique (shocking) et qui plus irlandais (double gasp) au cours d'une opération de séduction qui laissait un peu à désirer :  meetings électoraux dégénérant en lynchage, discussion politique sur le bien fondé de l'exécution du tsar, le mérite de soigner des officiers turbulents, l'échange de pamphlets pro-suffragettes, un diagnostic de souffle au coeur et beaucoup d’agressivité anti-anglaise et aristocratique du dit chauffeur (cf. la soupe au bitume) tandis que la demoiselle prenait un malin plaisir à le faire mariner et demandait qu'on cesse de la harceler.

Cette saison aurait dû être le lieu d'un magnifique décalage entre les moeurs de Downton et l’avènement d'une société plus égalitaire. Mais d'emblée, Sybil réapparaît comme un simple faire-valoir de son mari. Pourtant Dieu sait que j'adore Branson  mais de la carrière de Sybil à Dublin on ne verra rien, Sybil est juste là en arrière fond pour échanger quelques joutes verbales délicieuses avec la comtesse douairière  ou pour caresser le bras de Tom, telle une groupie transie (alors que Branson est bien moins séduisant en costume que dans sa livrée, en costume il fait un peu ado perdu, il est temps que Matthew le prenne en main). 
Le bon vieux temps tranquille et heureux de la saison 1


Plus aucun signe de la jeune fille passionnée qui se battait pour le droit à travailler, le droit de vote, le droit de choisir son propre mari au point de menacer ses parents de fuite et de mariage en catimini, qui voulait voir le monde avec "son ticket". Non la Sybil qui revient à Downton est rentrée dans le rang, une jeune mariée en pleine maternité qui se laisse complètement aveugler dès qu'il s'agit des engagements politiques de Tom.

J'aurais pu pardonner à Julian Fellowes de sacrifier la cadette des soeurs Crawleys s'il nous avait montré quelque chose de la vie des Branson à Dublin, s'il nous avait laissé entrevoir comment ce mariage qui défait toutes les conventions arrivait à marcher, sur quoi il trébuchait. Si pendant les quatre épisodes précédents Sybil avait fait quelque chose au lieu de se faire piquer son combat féministe par Edith. Où est partie la suffragette et l'infirmière enflammée de la Grande Guerre ? Julian Fellowes l'a vidée de sa substance et de sa flamme, l'a rendue transparente sans lui offrir hormis son agonie une sortie mémorable.
La difficile cour de Lady Sybil pendant la saison 2

Ce qui est dur c'est de se dire que le malheureux chauffeur (et avec lui le spectateur) a passé  six ans à séduire, à attendre Sybil, à lui promettre monts et merveilles pour une petite année de mariage. C'est difficile de voir désormais sous le même jour le naïf "bet on me", "I promise to devote every waking minute to your happiness" ou "Sometimes a hard sacrifice must be made for a future that's worth having" de Branson, careful what you wish for after all ?... Tout un combat pour rien. Lui et Sybil n'auront eu aucune chance de prouver qu'ils pouvaient réussir, faire mentir tous les sceptiques. Le créateur de Downton est conservateur mais quand même il aurait pu être un peu moins apocalyptique avec ses héros socialistes.  Cela ne suffisait pas de bannir d'Irlande le pauvre Branson ?

Comme le prophétisait toujours Mme Hughes à la fin de la saison 1, Tom Branson a fini "with no job and a broken heart"...

Mais c'est peut-être là aussi toute la magie de Downton. D'avoir multiplié les signes avant-coureurs. A la lumière de l'épisode de dimanche on ne peut s'empêcher de voir l'incident de l'élection partielle à Ripon comme un sombre présage. Débordée par son enthousiasme, Sybil s'était mise en danger,  se faisant molester sous les yeux impuissants de Matthew et Branson qui l'avait ramenée inconsciente à Downton .
Le décompte à Ripon

B)Une mise en scène sublime

Car à Downton on ne meurt pas discrètement. A chaque recoin se cachent des prémices et cet épisode en recelait une myriade (trop). Dans l'épisode de la semaine passée, Branson s'effondrait dans une chambre vide et cette semaine dans ces rares moments de lucidité, Sybil n'a fait que délivrer ses dernières volontés : que mon enfant soit baptisé catholique, que Branson se forge une vraie carrière et ne retourne jamais à la mécanique. Le pic est atteint quand Ethel évoque Sybil eau passé alors que l'accouchement n'est même pas achevé. Une fois le bébé Branson né, comment ne pas contempler avec inquiétude les suppliques de la pauvre Sybil qui presse sa mère de veiller sur elle pendant son sommeil et lorsque Cora lui dit au revoir comme à une enfant. 



Depuis la remarque d'Ethel je savais que le sort de la pauvre Sybil était plié. Pendant la pause publicitaire, j'ai cru qu'on allait la faire mourir paisiblement dans la nuit mais non on la retrouve en train de se tordre de douleur en s'agrippant la tête sous le regard tétanisé de Tom et impuissant des deux médecins, dont Clarkson qui dès le départ avait reconnu les symptômes de l'éclampsie  mais que malheureusement personne n'a voulu écouter.

Et soudainement le point de non retour, Sybil cesse de parler et convulse mais la caméra détourne un instant le regard pour s'attarder sur chacun des visages présents dans la chambre. On comprend à leur expression que la vie à chaque râle s'en va un peu plus : le mouvement de recul et d'effroi de Mary qui refuse de penser que sa soeur va périr, la panique de Robert dont toute la puissance ne peut rien, la résignation de Matthew agrippé à son piller de lit qui est projeté un an en arrière à l'agonie de Lavinia et qui doit se trouver  bien maudit, la réalisation sur le visage de d'Edith et la détresse de Branson et Cora. Ce sont Allen Leech et Elizabeth McGovern qui m'ont défaite avec leurs imprécations. Les "oh breath love, don't leave me" d'Allen Leech avec son accent irlanadis débordant et la douleur maternelle de McGovern quand elle demande à sa "darling girl, her baby" de respirer.

On sentait toute cette salle d'acteurs en train de pleurer pour de vrai.
Elizabeth McGovern doit commencer sa campagne pour les Bafta et les Emmys !


Mais le plus épouvantable a été la scène du lendemain ou Maggie Smith a éclipsé toute la maisonnée. En quelques pas chancelant sa comtesse douairière prend vingt ans d'un coup. On sent que Violet est devenue une vieille femme lorsqu'elle rabaisse sa voilette et s'appuie au chambranle de la porte.

Dans le quartier des domestiques, c'était extraordinaire de voir que celui le plus affecté était le venimeux Thomas et que la seule personne à le consoler Anna. Pourtant dieu sait que le machiavélique valet a été on ne peut plus cruel avec elle et Mr Bates.

Et pour enfoncer le clou, l'épisode de se termine sur Branson, sa fille dans les bras, regardant accablé par la fenêtre, un plan révélant que non seulement il a tout perdu mais que désormais il est définitivement prisonnier de Downton.

Pour les plus curieux qui ne redouteraient pas de  ce spoiler, un extrait de la scène est disponible dans cette vidéo, même si son auteur y a superposé la musique des Évadés.
 

C) Un sacrifice utile s'il ouvre des intrigues prometteuses

Dans la mesure où Sybil faisait de la figuration depuis le début de cette saison, il est somme toute logique et compréhensible que Fellowes, qui refusait de lui donner la moindre intrigue à se mettre sous la dent, en face la mort de la saison. Celle de Robert aurait tout précipité (ce sera pour la dernière saison, histoire de voir comment Matthew endossera ses habits d'héritier), Matthew ne peut pas mourir car sinon Mary n'a plus de raison d'être, la disparition d'Edith ne choquerait personne, Branson n'est pas de la famille, Cora a survécu à la grippe, Mrs Hughes n'a pas le cancer, Carson a déjà fait son malaise cardiaque, Violet est la caution comique de la série...



J'accepterai la version que la mort de Sybil est une victime de la société masculine et patriarcale qu'elle a si souvent dénoncé seulement si sa disparition donne un second souffle à cette troisième saison qui tatone entre ses mariages et ses histoires d'héritage.

Sa disparition ouvre toute sorte de pistes :

* Cora et Robert vont enfin devoir questionner leur mariage et devraient être à couteaux tirés pendant quelques temps, Cora le rendant responsable de l'erreur médicale ayant coûté la vie de Sybil. Ce sera enfin l'occasion pour eux d'aborder tout ce qu'ils ont enterré depuis la saison 1 : leur fils mort-né, la liaison de Robert avec la femme de chambre, leur désaccord sur le mariage de Sybil, et les conséquences de la faillite de Downton qui a englouti  la fortune de Cora.

*Hélas je suppose qu'un des grands axes en réserve pour Matthew et Mary va être leur désir d'enfants et leur possible stérilité. On peut imaginer qu'avec ce qui est arrivé à sa cadette, le couple ait quelques réticences à pouponner. Je en suis toujours pas convaincue par l'argument "je suis allée voir le médecin pour mon rhume des foins". Ils pourront toujours adopter Sybil Jr *sigh*.

* Que va devenir Branson ? Va-t-il encore plus se radicaliser maintenant qu'il n'a plus rien à perdre ou va-t-il enfin s'intégrer aux Crawleys et faire quelque chose de sa vie comme il l'avait promis ? Fondamentalement, peut-il durer jusqu'à une saison 4 sachant que son exil prendra sans doute fin en 1922 avec la création de l'Irish Free State ?

* L'amitié Matthew et Branson est, je l'espère, appelée à se renforcer car ce sont des intrus au microcosme charmants et Branson aura besoin de soutiens.

* Mary et Edith vont-elles parvenir à mettre leurs différences de côté ? Une des scènes que j'attendais et que j'ai obtenue est leur trève douce-amère. Sybil qui ne se mêlait pas de leurs querelles était leur trait d'union. Quand Mary dit qu'elle et Edith ne feront jamais la paix mais qu'en ce matin elles doivent s'embrasser et s'épauler "as sisters should" puisque c'est la dernière fois que le trio Crawley est réuni, j'espère qu'elle se trompe et qu'Edith et elle sauront se rapprocher. Et qui sait reprendre l'héritage laissé par Sybil ? Mary en se battant pour gérer le domaine et Edith devenant une éditorialiste de renom défendant le droit des femmes.

On ne peut prononcer une oraison sur Sybil sans rappeler le merveilleux pantalon de harem de la saison 1!


D) Quelques remarques de conclusion

Tumblr est un creuset d'images, de montage photo et de réflexions désopilantes qui était un très bon soutien moral pour se remettre de cet épisode.
Les jolis montages de Tumblr

Mon observation favorite sans nulle doute car elle n'est que trop juste : "si Sybil avait été soignée par le Dr Quinn, elle aurait été sauvée et nous aurions eu en prime une belle leçon de morale!"

Si le Dr Clarckson est votre médecin traitant, qu'il fasse ou pas le bon diagnostic vous ne survivez pas !

Downton Abbey est une demeure maudite pour les adultes dans la fleur de l'âge. En 20 épisodes, on a successivement enterré un diplomate turc au sommet de sa forme, William, Lavinia et Sybil.
Toutes les excuses sont bonnes pour illustrer ce papier